Emily and OuiJa : 01

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10 avril 2015, quartier Saint-Michel, Paris.

A coté du cadeau de sa mère, enturbanné d’angelots argentés et de cœurs roses, au papier d’un bleu roi brillant des reflets du soleil passant par la fenêtre, le colis venant d’arriver fait pâle figure. L’emballage de carton blanc sale décoré du ruban jaune passé du livreur et du tampon rouge FRAGILE ne reflète qu’une lumière délavée luisant par intermittence.
Quoique les luisances semblent venir de la fenêtre du voisin d’en face secouée par le vent.
Les deux paquets sont opposés en tout. Le bleu, très volumineux bien que léger, prend à lui tout seul la moitié de la table basse. Le blanc, quant à lui, long, large, mais plat, ressemble à l’emballage d’une assiette, ou d’un plateau. Voire d’un livre grand format.
Mais, irrésistiblement, il l’attire bien plus que le premier.

Lorsqu’Emily tend la main vers le colis, elle revoit l’image de son rêve où son cœur et la poussière du coffre battent la même chamade. Au moment où elle pose sa main dessus, elle s’attend à un cri strident. Mais rien ne se passe, aucun son ne retentit.
Il lui semble même ne plus entendre son cœur battre.
Alors elle prend le colis, le pose sur ses genoux, et l’observe un instant avant de l’ouvrir.
Aucune indication de sa provenance. Aucune adresse d’expéditeur. Juste un petit cachet dans un coin, ‘Editions de Patrick Moine’.
Un petit tour rapide sur Voggle, ‘le moteur de recherche à grande bouche’, si rapide depuis son smartphone, ne lui donne aucun renseignement notable sur les produits de cet éditeur. Il semblerait même ne pas exister du tout.

Fonctionnant apparemment indépendamment de ses intentions, son cerveau et ses mains, décidant qu’un colis à son nom arrivant le jour de son anniversaire ne peut être ni un hasard ni une erreur, détruisent l’emballage le temps d’un battement de cils.
Dans la boîte, la présence d’une autre boîte plus petite lui remémore le jeu répétitif à base de Matriochkas de sa grand-mère paternelle, lors des anniversaires. Où un cadeau aussi gros qu’elle finit par ne renfermer, au bout de 30 minutes de recherches, qu’une pièce ou un billet.
Mais là, bien que plus petite que le colis d’origine, la boîte est toujours aussi lourde.

La curiosité continue de la titiller. Elle appellerait bien son père, pour l’interroger sur ce qu’il sait, mais ses doigts prennent les devants et font glisser le contenu de la boîte sur ses genoux.
Emballé, voire caparaçonné, dans du papier de soie, elle finit par trouver une espèce de plaque bleu-nuit, d’un coté lisse, sans aucune aspérité, comme poli des siècles durant par la marée, tandis que l’autre coté est couvert d’arabesques et de lettres gravées dans la masse, puis dorées à l’or fin. Elle y repère les 26 lettres de l’alphabet, les 10 chiffres communs, quelques signes indéterminés, ainsi qu’une pierre blanche au centre de la plaque, de laquelle partent des rainures profondes la reliant à tous les symboles, le tout agencé dans un joyeux bazar.
‘Chargée, mais jolie. Et surtout bleue.’, voilà comment Emily se dit qu’elle décrira la plaque ce soir, dans son journal intime. Mais trop unique pour un serre-livre, trop ouvragée pour une planche à découper, trop lourde pour un cadre-photo, elle s’avère incapable de comprendre à quoi sert son cadeau.

Machinalement, elle passe ses doigts sur la surface gravée de symboles jusqu’à en caresser la pierre blanche en son centre.
Pierre qui, au contact de sa peau, se met à briller, d’abord faiblement, puis de plus en plus fort.
‘Qu’est-ce que… ?’
Dans un étrange vacarme, rappelant un immense et vieil aspirateur allumé faisant des allers-retours en TGV, la pierre, brillant de mille feux, commence à glisser le long des rainures, s’arrêtant un bref instant à certaines lettres pour clignoter.

B…O…N…J…O…U…R…
La gemme revient au centre.
‘Bonjour ?’
O…U…I…C…E…S…T…C…E…Q…U…O…N…D…O…I…T…D…I…R…E…V…U…L…H…E…U…R…E…S…O…L…A…I…R…E…
Retour au centre.
‘Ok, j’sens qu’ça va être long…’
A…H…P…A…R…D…O…N…

Tandis que la gemme se stabilise de nouveau au centre de la plaque, sa couleur passe du blanc lumineux clignotant à une lueur bleuâtre fixe.
Sorry. Do you hear me ?
‘Hein?’

Rougeâtre.
… me entiende, chica ?
‘Ha ouais, nan mais ça va être super long en fait.’

Verdâtre.
… et là, vous me comprenez ?
‘Euh, là oui. Enfin, avant aussi, mais c’était pas l’plus simple.’
Mes excuses. Je communique rarement de cette manière, la plupart du temps l’échange tablé est amplement suffisant. Pour le psyché, je nécessite quelques réglages subsidiaires, mes annexes ne sont certainement plus à jour. Je conçois manquer de pratique.
‘OK, alors, d’jà, tu dois encore bugguer, t’as dû sélectionner québécois, suisse ou belge, parce que j’capte pas tout. Et j’crois qu’y’a vach’ment trop d’mots dans ta phrase.’
Pardon ? Un instant s’il vous plaît. Repartons sur de bonnes bases. Pourriez-vous m’indiquer l’année en laquelle nous sommes, je vous prie ?
‘Oui, ça j’peux. On est en 2015.’
Ha… Bien… Je vois… Oui… Quand même… Pourriez-vous m’accorder quelqu’instant?
‘Ha ben vu comment c’est parti, j’t’accorde avec plaisir tout’la s’maine.’

*

Pendant que la gemme vire au bleu vif clignotant sans interruption, Emily se lève, se dirige vers la cuisine et ouvre la porte du frigo.
‘M’faut un coca. J’crois qu’j’vais avoir carrément b’soin d’sucre…’
Gorgée de coca, soupir, gorgée de coca, soupir, gorgée de coca, soupir.
‘J’suis une vraie portée…’
Non, tu es une vraie partition.
Ha, oui, c’est mieux, j’suis une vraie… MAIS TU PARLES DANS MA TÊTE ?!’
C’est le cas depuis tout à l’heure, tu n’avais pas l’air choquée.
‘J’avais juste pas réalisé !’
Ma mise à jour est bientôt terminée, nous allons pouvoir nous expliquer plus clairement. Peut-être as-tu des questions à me poser avant tout ?
‘T’es qui ? Ou quoi ?’
Je suis OuiJa.
‘Merci, mais j’ai d’jà capté que t’es un oui-ja.’
Pas ‘un oui-ja’. OuiJa.
‘Ok, si tu l’dis. Et qu’est-ce que tu fais ici ?’
Je dois appartenir à Emily. C’est la mission que l’on m’a confiée.
‘Parc’qu’elle a b’soin de toi, Emily ?’
Non.
‘…’
Mais ça ne devrait pas tarder.