
Versailles
La famille Longuini est en vacances en région parisienne. Paulo, le père, tient une pizzeria dans la rue Colbert, à Tours, et a depuis des années rêvé de pouvoir offrir à sa femme, son fils, et lui-même, des vacances de Noël débordantes de culture. Quel endroit plus parfait que Paris, la ville lumière ?
Dans le petit appartement qu’ils louent à Versailles, ils planifient leur troisième journée. Le château éponyme sera le point culminant de leurs vacances, et donc de leur dernier jour. Mais pour le moment ils doivent choisir ce qu’ils iront visiter le lendemain.
La Tour Eiffel fut leur première destination, suivie du Musée d’Orsay. Leur deuxième journée les aura laissés arpenter de long en large le Musée du Louvre, et à présent Paulo aimerait emmener sa petite famille dans le cœur de Paris, l’Île de la Cité, et ces multiples lieux historiques, la Cathédrale Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, La Conciergerie, même.
Et s’il leur reste assez de temps, pourquoi ne pas aller aussi au Panthéon, au Musée de Cluny, ou trainer au soleil sur les quais de Seine.
Il y a tellement de choses à faire dans cette ville… Le plus difficile étant de choisir un trajet, plutôt un périple d’ailleurs, car c’en est un de visiter avec le petit Paulito et sa furieuse envie de ne jamais suivre les décisions de son père.
Et Paulito est très impatient. Les files d’attentes devant les Musées et Monuments le font trépigner à outrance. Et le rendent insupportable.
Plus qu’à l’habitude.
S’organiser est difficile, aucun détail ne doit être laissé de côté.
‘Ne t’en fais pas pour Paulito. Cette surprise de Noël lui laissera des étoiles plein les yeux pendant les années à venir.’
Dans le dos de Paulo, sa femme entre dans la chambre après un bon bain délassant.
‘Je le sais, Sandra. Du moins, je l’espère. Mais d’un autre côté, je me demande s’il n’est pas trop jeune pour pleinement profiter de tout ça…
– Bien sûr qu’il est trop jeune ! Mais nous avons le droit de vivre aussi pour nous. Si nous attendons encore dix ans qu’il soit capable de tout comprendre et assimiler, est-ce que nous profiterons, nous, de ce voyage ? Et de toute façon, la date sur les billets de train ne nous laissait pas le choix. C’était un bien étrange cadeau d’ailleurs. Tu es sûr que cela ne venait pas de tes collègues ?
– J’en suis presque sûr, vu qu’ils m’ont tous dit n’y être pour rien. Mais je me renseignerai encore en rentrant. Et pour le reste, tu as raison, ma chérie… Tu as toujours raison…’
Souriant, Sandra passe ses bras autour du cou de son mari et l’embrasse derrière l’oreille.
‘J’aime quand tu dis ça. D’ailleurs, j’y pense, tu as bien verrouillé la grille de la pizzeria en partant, comme je te l’ai rappelé ?
– Bien entendu mon amour.
– Et la porte de la maison aussi ? J’ai oublié de te le demander là-bas, Paulito était surexcité à l’idée de partir.
– Bien entendu aussi, mon amour. Pour qui me prends-tu ?
– Désolée de m’inquiéter, tu as souvent été distrait. Allez, éteins la télé, et viens te coucher. J’aurais sûrement froid toute seule sous la couette…’
Paulo rejoindra le lit sans éteindre ni ordinateur, ni télévision.
Tours
Dans la maison vide des Longuini, une fillette se cache sous le bureau, dans le noir absolu, ses genoux entre ses bras. Elle a beau tendre l’oreille, aucun son ne perce la nuit.
Une main se pose délicatement sur son bras.
‘On doit y aller, elle nous a retrouvées.’
La femme et la fillette sortent de la maison, la femme passe sa main devant la serrure de la porte et un cliquetis se fait entendre.
‘On offre un voyage aux gens, et ils laissent leur porte déverrouillée… On n’abandonne jamais une maison ouverte. Jamais.’
Elles avancent dans les ombres et les ruelles, sans bruit, sans se faire voir.
‘Et on va où ?
– A la cathédrale, c’est notre dernière chance.’
Une vive lumière projette alors leurs ombres sur le trottoir.
‘ICI ! JE LES VOIS !
– Bon, plus besoin de se cacher. Cours !’
La femme le sait, depuis la rue Colbert, le chemin le plus simple pour atteindre la cathédrale est de passer par la rue Lavoisier. Mais parallèle à cette rue, au croisement suivant, se trouve la rue du Petit Cupidon, qui l’a toujours fortement attirée. Et qui permet de rejoindre la cathédrale en en faisant le tour. Un chemin bien plus long, mais permettant plus aisément de semer des suiveurs.
‘Oui, mais s’ils se séparent, un des groupes arrivera à la cathédrale avant nous. Et ils nous prendront en étau…
– On arrive bientôt ?’
La fillette, essoufflée par sa course continue, peine à articuler ses mots.
‘On prend à droite tout de suite. Le plus rapide sera le mieux.’
Elles semblent avoir pris un peu de distance sur leurs poursuivants dont les bruits de course sont atténués par les mètres. La cathédrale les attend, la porte d’accès du gardien de nuit grand-ouverte, comme on le lui a dit.
Une fois à l’intérieur, la femme referme la porte à clé de la même manière que pour la maison des Longuini, et emmène la fillette dans la nef.
‘Cache toi derrière l’autel, reste silencieuse, et n’en sors que lorsque je te le dirai.’
La fillette acquiesce de la tête, et s’accroupit sous l’autel où elle découvre un chat noir en train de dormir. Elle se pelotonne contre lui en l’entourant de ses bras, apeurée et tremblante, et lui commence à ronronner sous sa tête.
Le silence de la nuit démultiplie les bruits de pas lorsque leurs poursuivants passent devant la cathédrale, puis les sons s’évaporent. Par réflexe, la fillette retient son souffle.
Brusquement, elle entend une explosion, puis des échos de chutes de morceaux de bois et une lumière impressionnante illumine l’intérieur de la cathédrale.
Une voix d’homme résonne alors.
‘Madame, elles sont forcément ici, toutes les deux.’
La femme qui avait accompagné la fillette se dresse devant l’autel tandis qu’une silhouette élancée entre dans la cathédrale par la porte défoncée, telle une princesse descendant de son carrosse.
‘Ma chère sœur, tu es prise au piège. Rendez-vous toutes deux et aucun mal ne lui sera fait.
– Inutile de te demander si du mal me sera fait à moi je suppose, ma chère sœur ?
– Effectivement, inutile. Où est la petite ?’
La voix de l’homme résonne de nouveau.
‘Elle est certainement derrière l’autel. Elle ne peut pas être partie, nous l’aurions vue.
– Peut-être n’est-elle jamais entrée, contrairement à moi.
– Je ne te connais que trop bien. Tu ne prendrais pas un tel risque.’
La femme tape sur l’autel comme à une porte.
‘Sors. -Elle prend la main de la fillette- Tout va bien se passer.
– Pour elle, oui.’
La fillette se sent comme un animal pris au piège devant le sourire carnassier ornant le visage de la femme qui se tient à l’entrée de la cathédrale.
Son accompagnatrice pose une main sur l’épaule de la fillette, s’accroupit face à elle, lui demandant tout haut de garder son calme. Puis lui murmure :
‘Tu te souviens de ce que je t’ai dit sur la magie ? C’est le moment ou jamais de t’en rappeler.’
Dans l’écho tonitruant emplissant alors la nef, comme si un millier de draps avaient été déchirés en même temps, un vortex bleu s’ouvre derrière la fillette.
‘Aie confiance ma puce.
– NON ! Elle reste ICI !’
D’un geste, la femme ordonne à ses soldats d’attraper l’enfant. Le temps qu’ils atteignent leur cible, une main, puis son bras, sortent du vortex, s’enroulent autour du torse de la fillette, et la tirent vers leur source.
Alors elle disparaît et le passage se referme.
‘Je ne savais pas que tu avais ce pouvoir ma chère sœur. Mais peu importe, elle n’est que partie remise. Toi, en revanche, tu vas enfin payer pour ce que tu as fait.’
Dans le silence nocturne, les lèvres de la femme se mettent à remuer, sans qu’aucun son plus clair qu’un bourdonnement n’en sorte. Tout en continuant à marmonner, elle lève lentement le bras droit vers le ciel et ses yeux prennent une teinte vitreuse.
La cathédrale tout entière se met à trembler. Les barres d’ornement en métal se détachent de partout et commencent à se mouvoir tel des serpents puis à glisser dans les airs autour de l’accompagnatrice comme une tornade.
Lorsque la femme serre son poing droit d’un geste brusque, ses yeux reprennent leur couleur normale, et les barres d’ornement emprisonnent l’accompagnatrice à l’autel.
‘Tes capacités se sont affinées, ma chère sœur. Mais je vais encore te décevoir, Cyrceliah…’
Avec un regard doux, elle lui sourit.
‘Ce n’est pas MON pouvoir.’
Dans un bourdonnement, un vortex violet s’ouvre dans son dos. Elle a juste le temps d’envoyer un baiser à Cyrceliah avant d’être aspirée.
Les barres qui lui avaient servi de prison pendant de courtes secondes s’effondrent alors toutes sur le sol dans un écho métallique et prétentieux, relayé par l’acoustique si particulière des édifices religieux, et colporté encore par le silence nocturne extérieur. Ce charivari n’obtient pour seule réaction que le départ précipité du chat qui dormait sous l’autel, dans une cacophonie de cliquetis de griffes pressées sur le sol.
‘Il n’y a plus personne, madame… Madame ? Vous n’avez pas l’air bien…’
Les poings serrés à s’en couper la circulation et le regard perdu dans le néant, des volutes rouges, une sorte de brume ensanglantée, commencent à fluctuer autour d’elle.
Le seul homme qui avait pris la parole lors de l’attaque fait alors signe aux autres de sortir le plus vite possible du bâtiment. Mais la frayeur habitant son regard affole les soldats qui se mettent à courir dans tous les sens, allant jusqu’à se piétiner les uns les autres.
Tandis que la brume sanglante a envahi toute la nef de la cathédrale, Cyrceliah ferme les yeux et hurle.
‘DRAESMAEL !’
Puis, le néant.
Versailles, dans la chambre d’hôtel des Longuini dormant la télévision allumée.
Flash spécial d’informations.
‘Une nouvelle incroyable et effrayante. Suite à une explosion dont les causes sont encore inconnues, la ville de Tours, en Indre et Loire, aurait été totalement détruite. Il ne resterait rien de construit, ni de vivant, sur 10 kilomètres alentours. L’épicentre de l’explosion se situerait à l’emplacement de la cathédrale de la ville, joyau gothique dont, comme le reste de la ville, il ne reste que de la poussière. Tout de suite, notre reporter sur place, dans un paysage dévasté…’

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