Gistan & Bill O’ The Whip
Il était un bois, dans les campagnes du Belgistan, où les arbres montaient si haut dans le ciel que leurs cimes cachaient les rayons du soleil.
Matin, midi ou soir, jamais ces derniers ne touchaient le sol, et aucune des créatures arpentant le bois n’osait en sortir.
C’était dans ces bois perdus que, selon les légendes, l’on trouvait une écorce que seule pouvait éclairer la lune, lorsque les cimes des arbres se pliaient après le coucher du soleil.
Cette écorce était si dure et si souple à la fois que l’on racontait que quiconque saurait s’en faire une arme règnerait sur le Royaume.

C’était aussi dans ces bois que Gistan se perdit. Il avait quitté ses parents qui, disait-il, ne l’aimaient plus, du moins plus autant depuis l’arrivée de son petit frère.

Errant dans la campagne, son baluchon sur l’épaule, il avait trouvé réconfort adossé à un arbre magnifique, à l’abri du soleil, et s’y était assoupi.
A son réveil, le soleil avait disparu, et certaines branches de l’arbre s’étaient courbées jusqu’à lui chatouiller le visage. Intrigué par les bruits étranges que lui susurrait le bois, il s’enfonça plus avant dans la noirceur.
Il sentait bien de temps à autre des animaux lui fuir entre les jambes, effrayés par ses pas, mais il ne les voyait pas et n’en avait donc pas peur.
Il avança, avança, pendant ce qui lui parut des heures. Comment ce bois pouvait-il être si grand ?
Il laissait ses mains courir sur les arbres qu’il croisait, et leur douceur le réconfortait encore plus. Il se sentait accepté, apprécié… Aimé. Il fermait les yeux et se laissait guider par les bruissements des feuilles, et les doux cris des animaux du bois.
Puis son pied se posa sur quelque chose, et il n’eut pas le temps de le retenir. Sous son poids un craquement sinistre retentit alors et recouvrit tous les autres sons.
Qui ne reprirent jamais.
Le silence était à présent si pesant, si froid, que Gistan n’osait plus avancer et maintenait ses yeux fermés de toutes ses forces
‘Tu m’as blessé, petit homme…’ résonna une voix.
Gistan sentit ses muscles appuyer plus fort sur ses paupières, et ses mâchoires se serrer.
‘Je ne voulais pas te blesser, je ne t’ai pas vu. Sauras-tu me pardonner ?
– Mais enfin, je ne suis qu’un simple bout de bois, quel mal pourrais-je te vouloir ?’
A ces paroles, Gistan se détendit, mais n’osait toujours pas ouvrir les yeux.
‘Un simple bout de bois ? Qui parle ?
– Peut-être pas si simple, mais je ne suis qu’un bout de bois. Un bout de bois… du bois. C’est amusant, non ?’
Malgré lui, Gistan sourit. Il prit une grande inspiration, ainsi que son courage à deux mains, puis se retourna doucement et s’accroupit pour faire face à la voix.
Il ouvrit les yeux. Devant lui se tenait un long bâton aux couleurs d’argent et de métal sombre, luisant d’une étrange lueur bleutée. Sur toute sa longueur, il donnait l’air d’avoir été tressé par une main humaine, et les tiges semblaient battre autour d’un cœur de vide.
Le garçon le prit délicatement et l’approcha de son visage.
‘Je m’appelle Gistan.’ lui souffla-t’il.
‘Tu peux m’appeler Bill. Tu me sembles digne de confiance, Gistan, peut-être pourrons-nous devenir amis, si tu le désires ?
– Ce serait avec plaisir. J’ai grand besoin d’un ami.
– Parfait. Mais tout d’abord, il faudra sortir de là.
– Sortir de… Quoi ?’
Son talon glissa…
Puis il sombra.
Lorsque Gistan revint à lui, le soleil pointait haut dans le ciel, bien au-delà des cimes. Et surtout bien au-delà du trou dans lequel il était tombé.

Depuis sa chute, les heures s’étaient égrainées comme des secondes et la nuit avait laissé place au jour.
‘Mais tout d’abord, il faudra sortir de là.’ Les dernières paroles de Bill prenaient sens.
D’ailleurs, où était-il passé ?
Là où il était, Gistan ne voyait même pas le bout de son propre nez. Il tâtonna le sol de sa main, à la recherche de son ami.
Tout n’était que terre, roche et boue, nulle part la rassurante sensation de l’écorce.
Le peu de lumière venant de l’extérieur commençait déjà à prendre les teintes rouge-orangé du crépuscule.
Même si les pensées de Gistan se bloquaient sur la recherche de Bill, et sur comment sortir, au fond de lui une petite voix se demandait si le temps avançait à une vitesse normale.
Dans la doucereuse obscurité qui l’entourait maintenant, il perçut un peu au-dessus de lui une lueur bleutée familière. Bill n’avait pas atteint le sol, il était resté coincé par les racines sur le chemin.
‘Tu te réveilles enfin Gistan ? j’ai cru que je ne te reverrai jamais.
– La chute a dû m’assommer un peu. Mais là je me sens d’attaque pour sortir d’ici. Je ne vois juste pas comment.
– Tu pourrais sauter jusqu’en haut ?
– Est-ce que je ressemble à la Gazelle de Saint-Jean-en-Hoorebekistan ?
– J’imagine que non. Si tu pouvais me prêter un peu de ton énergie, je parviendrais peut-être à nous tirer de là.

– Te prêter mon énergie ? Comment ?
– Avec quelques gouttes de ton sang, je pourrais communier avec les Esprits du Bois, et ils nous aideraient à sortir d’ici.’
Gistan ne réfléchit même pas. Il mordit férocement dans son doigt, jusqu’au sang, et le glissa ensuite le long de Bill. Il eut l’étrange sensation que ses battements de cœur se synchronisèrent alors avec la lueur bleutée. Puis Bill s’éteint
Ils restèrent silencieux un long moment pendant lequel Gistan crut revoir le soleil passer au-dessus des cimes.
Puis la nuit revint.
‘Les esprits ont accepté notre demande. Tu n’as plus qu’à imaginer une nouvelle forme à me donner, qui nous aiderait à sortir.
– Une échelle, il nous faut une échelle.
– Sache juste que je devrais garder cette forme jusqu’au prochain vœu qu’ils daigneront nous accorder. Je ne sais pas ce qu’est une échelle, mais il ne faudrait pas que cela nous encombre.
– Ha. Alors il faudrait quelque chose de tout aussi long, mais de bien plus malléable. Un fouet serait mieux.
– Ferme les yeux et imagine ce qu’il nous faudrait, dans tous ses détails.’
Gistan obéit, et détailla dans son esprit ce que Bill devait devenir. Il voulait lui laisser son identité visuelle, en faire une sorte d’évolution. Il l’imagina beaucoup plus long, et suffisamment souple pour être manipulé et rangé.
Il ne le vit pas, mais pendant qu’il imaginait son ami, les arbres du Bois courbèrent encore plus leurs cimes et les rayons de la lune frappèrent Bill de plein… fouet.
Sa lueur bleutée vira au blanc pendant quelques secondes, puis reprit sa couleur habituelle.
Quand Gistan rouvrit les yeux, il découvrit un tout nouveau Bill.
‘Maintenant, on s’en va.’ Lui dit-il.
Il le prit alors en main, tendit son bras vers l’arrière, et d’un geste vif le fit claquer vers le
haut.
Comme s’il était mû par une volonté propre, Bill alla embrasser l’arbre le plus proche de la surface, et tira son ami vers lui avec une extraordinaire aisance.
Ils semblaient ne faire plus qu’un.
Parvenus en haut, Gistan se permit une profonde inspiration, et en toussota de la poussière.
Il leva la tête vers la lune, remerciant en pensée les Esprits du Bois.
Lorsque les yeux bleu-perçant d’une gigantesque chouette noire et argent lui dissimulèrent brusquement la lune par leur immensité,

Il manqua retomber dans le trou, de stupeur.
Ses yeux bleus profondément ancrés dans ceux de Gistan, elle communiquait avec lui.
Il n’entendait aucune voix, seules des images apparaissaient subrepticement dans son esprit, des peintures vivantes fugaces.
Elle s’appelait Norma et vivait dans le Bois depuis des millénaires.
Elle était l’un des Esprits du Bois qui avaient accepté son Vœu.
En contrepartie, elle avait une mission à lui confier.
Le monde des humains évoluait trop vite pour elle. Elle avait besoin de quelqu’un pour l’arpenter à sa place, lui servir de lien.
Pour faciliter sa tâche et l’aider à avancer avec le monde.
La mission de Gistan serait simple : Il devait réintégrer les humains, et marquer de son fouet les enfants défectueux qu’il croiserait. Ceux qui seraient un danger pour le monde, et ceux pour lesquels le monde en serait un.
Elle se chargerait ensuite de les récupérer pendant la nuit, car telle était sa tâche.
A présent il était libre de repartir. Même de ne pas accomplir sa mission, lors les Esprits annuleraient le Vœu et il retournerait au fond du trou où il était tombé. Pour toujours.


Lorsque Gistan revint à son village, ses parents ne s’étaient pas aperçus de sa disparition.
‘Ils étaient bien trop occupés par ton petit-frère…
– Tais-toi, Bill, si on t’entend, nous aurons des problèmes.
– Tu es le seul à pouvoir m’entendre. Mais soit.’
Il observait les enfants la journée et profitait de la nuit, pendant laquelle Bill reprenait sa forme de fouet, pour aller marquer ceux qui le méritaient.
Une fois que Norma avait récupéré ses proies, toute trace de leur existence était effacée, jusqu’aux souvenirs de leurs propres parents.
La mission était des plus simple.
Mais un soir de décembre…
‘Tu ne penses pas que ton frère devrait rencontrer Norma ?
– Comment ça ?
– Il suffirait qu’une nuit, il soit marqué. Au passage de Norma, ce serait comme s’il n’avait jamais existé. Tes parents t’aimeraient de nouveau comme tu le mérites.’
Gistan resta silencieux, mais les paroles de Bill tournoyaient dans sa tête.
La nuit suivante il marqua trois enfants, dont son frère. Puis alla se coucher le cœur léger.
Il fut réveillé par le silence. Le silence sourd et pesant qu’il connaissait déjà.
Il se trouvait au milieu du bois, dans le noir absolu, si ce n’était pour deux immenses yeux bleus qui le fixaient froidement. Les images qui assaillirent son esprit étaient équivoques.
En marquant son frère, en ayant fait d’un innocent une de ses cibles, il avait brisé leur accord. Et sa confiance. Elle ne pourrait jamais le lui pardonner, mais elle se sentait responsable de n’avoir pas su mieux le jauger. Et lui laisserait une seconde chance avant d’annuler le Vœu.
Aussi décida-t’elle qu’il devrait continuer la mission qu’elle lui avait confiée, mais ne serait plus autorisé à sortir du Bois qu’une seule nuit dans l’année, celle du 24 au 25 décembre.
Ils seraient tous deux seuls à se souvenir que cette nuit était celle où il avait choisi de se débarrasser de son propre frère. Et ce
‘Aussi longtemps que l’un de nous regrettera ce qui s’est passé.’
Cette phrase apparut en toutes lettres dans l’esprit de Gistan.

Avant toute chose, il devait décider d’un
Arbre oublié du Bois, et y enterrer le
corps du petit Noël profondément sous
les racines.
Il choisit un Hêtre Rouge, comme les
cheveux de son frère, et entre les
branches duquel la lune était visible
lorsque le reste du Bois courbait l’échine
Puis Gistan descendit de lui-même dans le trou, jusqu’à la prochaine nuit où il serait autorisé à en sortir.
Las, il chercha du réconfort auprès de son seul ami.
‘Tu ne penses pas que son choix soit juste ?
– Si, peut-être, mais je m’attendais à ce que tu interviennes.
– Pourquoi ?
– Parce que nous sommes amis. Et parce que c’est toi qui as eu l’idée pour mon frère.
– N’as-tu pas encore compris, Gistan ?
Je ne suis qu’un bout de bois.
Je ne parle que dans ta tête.
Mes choix sont TES choix.’
Et il vécut seul…
Et n’eut aucun enfant
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