Le Passage

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Halloween 2022 : Je lance un jeu avec ma commu twitch/discord, où chaque participant doit me donner 3 mots qui pour lui représentent le mieux Halloween. Puis je dois concevoir une histoire à partir de là et j’envisage de la lire en live twitch le soir d’Halloween. Plus l’écriture avance, plus je me dis que je pourrais relier le texte à certaines légendes Irlandaises. C’est là que tout prend forme.
Chapître 2 : Un betisier nul à la télé, des magasins décorés, des enfants qui crient.

Toute la nuit, les lumières clignotent interpellant à l’envi les passants. De fausses bougies aux led vacillantes encadrent les icônes modernes d’Halloween, à l’outrance manifeste, dans les vitrines des magasins décorés.
Orange et noir prédominent dans les rues, tâchés seulement çà et là de blanc, au choix fantômes d’un drap vêtus ou toiles d’araignées appuyant encore, s’il le fallait, sur l’abandon et l’oubli de Samhain. Même les bars se paraient de crachats sur Lia Fáil.
Ce soir la lune ne se montrera pas. Même les étoiles semblaient nous refuser leur présence. Météo capricieuse, ou trop plein de lumières électriques, peu m’importait.
Et ces enfants qui crient, crient leur joie de se goinfrer de sucre gracieusement, ces mêmes enfants qui demain devront aller se faire curer les gencives, chouinant à la vue des instruments de malheur de leur arracheur de dents, mais qui reprendront ces mêmes pérégrinations l’année prochaine.

J’arpentais les rues au hasard, tentant de fuir la foule de monstres de pacotille qui grouillait à chaque endroit. Cette oppression maladive me devenait intolérable. A de trop rares moments, le brouhaha général s’estompait temporairement, et le calme tentait de reprendre le dessus en mon sein, mais c’était sans compter sur les gnomes déguisés, aux dents de chocolat, apparaissant sur le pas de chaque porte, et se ruant à travers moi, riant aux éclats, marquant leur passage de papillotes argentées.
Des Petits Poucets en hyperglycémie. Qui ne seraient jamais sortis de la forêt.

Puis, là, cet affront ultime. A travers une fenêtre je pus voir une famille hypnotisée par son petit écran, un bêtisier nul, ou des tout-venants se faisaient des frayeurs d’une mollesse insipide, et dont les cris étaient recouverts par des rires enregistrés.
Aucun des membres n’esquissait même juste un sourire, le regard fixé sur l’écran. Personne ne s’adressait la parole.
Si mon cœur pouvait encore battre, il se serait arrêté. Je ne pouvais plus rester.

Juste fermer les yeux, mon âme, à ce qui m’entoure, penser à ma colline, à Tara. Et en relevant mes paupières, tout était vert, et elle était là, ses bras de pierres et de verdure m’accueillant grand ouverts.
Ici aussi on les trouvait, les gnomes adultes, de noir vêtus, capuches ou chapeaux sur la tête, chantant et dansant autour de la Pierre du Destin, mais fuyant soigneusement ma dernière demeure.
Les chemins étaient balisés de citrouilles sculptées de faciès hideux, des bougies de cire en plein cœur, jetant un éclairage diffus et instable sur la colline.
C’était tout ce qu’il restait de nos lanternes aux Feux-follets, le monde n’étant plus capable de les attraper, ni même de les voir.

Mais les lueurs restaient un guide suffisant pour rejoindre le Portail de la Butte aux Otages.
Et rentrer. Dormir. Enfin.
J’avançais, invisible aux yeux des vivants, comme toujours. Certains fronçaient les sourcils au-dessus de leurs yeux fermés, à mon passage. D’autres les ouvraient brusquement et je pouvais voir le haut de leur joue se contracter, comme si une gêne ou une douleur légère les avait brusquement frappés.
Même s’ils pouvaient encore sentir notre présence, leur monde terre-à-terre les ramenait vite à sa propre réalité.
Je passais à travers la herse de la butte, me dirigeant vers le puits d’ombres qui m’attendait tout au fond.

M’agenouillant à son bord, je pouvais plonger mon regard vers le Shii, et voir le souvenir de mon monde m’attendre. Dehors, le soleil commençait à poindre sur Tara, les vivants prenaient leurs affaires, partaient, les uns après les autres. Caressée par les rayons de lumière, petit à petit la nature s’éveillait, et là, ce monde ressemblait au mien.
J’aurais voulu rester, sentir la chaleur sur mon visage, humer les parfums du dieu gaulois cornu, Cernunnoss, en revoir la création. Mais le temps se faisait court. Quand la lumière pénètrerait dans la Butte, le Portail se fermerait jusqu’à l’année prochaine. Ni rester un an dans ce monde, ni laisser mon âme se déchirer et se disperser aux quatre vents ne me donnait envie.

Alors je plongeais.