Game of Stones – VII

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La légende était forcément vraie. Cette fois Drogash ne l’accompagnerait pas.

Il était resté avec elle chaque jour, chaque heure, depuis qu’elle l’avait ramené au bercail. Il avait renoué les liens avec son père, avait appris à contrôler ses transformations et sa colère, tout ça pour elle. Il lui avait même appris à supporter les crises de hurlements de Robitoli Baratind’con.

Mais tout au fond d’elle, depuis plusieurs semaines maintenant, un poids s’était formé. Un poids douloureux par moments.

Elle ne savait pas si c’était dû à l’approche de sa rencontre définitive avec Serre-Selles.

Parce que son inconscient lui disait que ses jours heureux avec Drogash lui avaient fait oublier sa mission première.

Parce qu’elle avait laissé, des années auparavant, ses ‘enfants’ se battre entre eux, que Million et Jeanclodion avait perdu toutes leurs dents en voulant croquer le bec indestructible de Caneton et qu’ils seraient à présent peut-être moins utiles pour la guerre qu’elle voulait engendrer.

Parce qu’elle avait abandonné Marcelion à son triste sort.

Parce qu’elle avait abandonné le Clan des Barrbarrios, ceux qui l’avaient recueilli quand son père a été jeté à bas de son trône et assassiné.

Parce qu’elle avait abandonné une grosse partie de son armée lors de sa traversée du désert.

Parce qu’elle avait oublié le visage de son père.

Il y avait tellement de raisons pour que son esprit la brûle de l’intérieur. Il lui fallait des réponses, être remise sur le droit chemin puisqu’elle-même ne savait plus où elle en était.

Et c’est Robitoli qui lui en avait parlé. Le légendaire Roi Dragon, celui qui aurait permis aux Gonzaryen de créer le Trône de Pierres et d’unifier tous les Royaumes sous leur coupe. Celui par qui tout bien et tout mal s’équilibrent.

Les récits anciens que Daenexa avait trouvés dans la bibliothèque du Palais des Cons-du-Siège, grâce au fantôme, parlaient tous de cet être que les Gonzaryen vénéraient plus que tout, et qui était tombé en désuétude lorsqu’ils avaient été descendus du trône. La Lumière des Ténèbres, l’Ombre du Jour, tous le nommaient tel des sobriquets dignes de quolibets épinglés par des têtes de linottes ou des colibris. Aucun n’indiquait où le trouver, mais tous expliquaient comment le faire.

‘Suis la Piste du Dragon, longe Son Sang, traverse Son Aile, et lorsque tu voleras au-dessus de Son Antre, s’Il t’accepte comme Sien, Il te mènera à Lui.’

Daenexa avait décortiqué toutes les cartes du Royaume, à la recherche du point de départ, la Piste du Dragon, mais elle lui est restée inaccessible. Elle avait demandé son aide au fantôme Robitoli, une fois de plus, pensant que l’être le plus ancien du Palais saurait, mais ce fut peine perdue. Les Starkashekran non plus ne lui furent d’aucune utilité.

Et c’est lorsqu’elle s’apprêtait à abandonner que la révélation se fit. Une nuit de pleine lune, cette lumière des ténèbres balaya sa chambre par la fenêtre entrouverte et l’un de ses rayons frappa la carte qu’elle examinait encore et encore. Et il sembla stagner plus que de rigueur sur un point précis du vélin.

Lorsqu’il se dissipa enfin, comme s’il n’était jamais entré dans sa chambre, Daenexa regarda la carte de plus près, et compris.

‘Le Bois aux Lézards. Traversé du gros tronc coupé en deux jusqu’au caillou en forme de chèvre par La Rubis. Mais cela ne me dit pas par où je dois commencer…’

Le Bois aux Lézards… là où elle avait rencontré Drogash par hasard. A côté du gros tronc coupé en deux, justement…

‘C’est un point de départ comme un autre. Le hasard fait souvent bien les choses.’

Après avoir été vérifier que ses trois enfants dormaient profondément, Daenexa s’était attelée en direction de la forêt. A l’orée de cette dernière, elle attendit le lever du soleil pour s’y aventurer. Les rayons de la lune, bien que pleine, n’étaient pas suffisants pour lui permettre de retrouver son chemin.

Alors que l’aube déferlait entre les arbres, Daenexa retournait à l’arbre coupé en deux. Laissant envahir son esprit des parfums de la forêt, elle ferma les yeux et mélangea à ses sensations les textes parlant du Roi-Dragon. Laissant ses sens la guider, elle abandonna son corps à son instinct.

Longeant La Rubis, une rivière ainsi nommée lorsque les Gonzaryen envahirent le Royaume en annihilant toute vie, humaine ou animale, sur leur passage, et que le sang de leurs nombreuses victimes s’écoula dans son lit, ses pas la menèrent tout droit à une gorge d’une profondeur sans nom dans laquelle la rivière s’écoulait en cascade.

Sur l’autre rive, Daenexa put apercevoir le rocher en forme de chèvre et derrière ce dernier, un pont suspendu semblant mener vers l’infini.

Le traverser s’avéra être une épreuve en soit, les vents secouant la passerelle et sa passagère comme de simples fétus de paille.

‘J’espère que c’est bien ça l’Aile du Dragon… Sinon j’ai quand même deux chances sur trois de me retrouver en plein milieu de nulle part…’

Regardant la gorge qui s’étalait sous les planches minuscules et usées qui soutenaient ses pieds, Daenexa senti une terreur incommensurable l’envahir.

‘Et une chance sur trois de me retrouver écrasée tout en bas au milieu de nulle part.’

Une étrange brise tiède se leva alors autour d’elle, et elle eut l’impression de sentir une très forte odeur de fauve.

JE T’ATTENDAIS, DESCENDANTE. SOIS DIGNE DE TON SANG, ET ENVOLE-TOI VERS CE QUE TU ES.

‘Allez… Va pour la chance sur trois.’

Et elle plongea dans le vide.