La Pierre de Mâal – Chapitre Deuxième – Acte II

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A la droite de Sonya, un étudiant de dernier cycle se leva et prit la parole.
‘En cette nuit que nous nommons l’Avènement, une éruption de flammes eut lieu près de la Plaine du Jour. Ces dernières produisirent plus encore de lumière que le soleil lui-même et l’on raconte encore qu’elle était visible depuis la Mine d’Opales. Là où les Opaliens voyaient une surprise de leur Roi en leur honneur, l’armée royale, elle, savait qu’il n’en était rien. Alors Yssandre Onndini envoya des éclaireurs sur place la nuit-même, et ils découvrirent ce que les Dieux avaient prévu pour le punir de sa couardise vis à vis de Heurtombre.’
Le jeune homme se tut et fit un geste de la main vers un autre étudiant, qui se leva à son tour.

‘La troupe n’eut même pas besoin de rejoindre la Plaine du Jour, comme les hommes l’avaient tout d’abord cru. C’était juste avant la fourche du fleuve que les flammes léchaient le ciel. Un immense trou dans la terre, comme une plaie béante, crachait le feu qui éclairait le royaume et, de temps à autres, des torrents de flammes surgissait une créature démoniaque. D’autres fissures dans le sol avaient auparavant engendré des créatures étranges, comme sorties des ténèbres, mais aucun ne s’était jamais paré de flammes ardentes pour se faire. L’on avait déjà aperçu, et même tué, des créatures humanoïdes de très petite taille, aux dents acérées comme la lame d’un poignard et aux griffes aussi longues que la main, ou des abominations mi-chien mi-reptile, mais jamais encore ce que la Plaie allait cracher devant les éclaireurs.’
Alors que l’étudiant avait accompagné ses paroles de gestes, ayant porté, pour sa dernière phrase, ses mains à sa bouche puis, d’un geste brusque, vers un autre garçon à ses pieds, celui-ci prit la relève de l’histoire. Les deux autres gardaient encore leur dernière pose.

‘Tandis que la petite armée Opalienne n’osait approcher cette étrange scène, les torrents de flammes se calmèrent subitement. La nuit redevint noirâtre, et le silence se fit. Les créatures que la Plaie avait régurgitées tenaient position autour de l’ouverture, sans bouger, comme si elles attendaient quelque chose que seule leur présence permettrait de faire venir.’
Le jeune homme tenait constamment son auditoire en haleine, ajoutant à son conte mimiques et silences, gestes et bruitages. Debout sur ses jambes écartées et légèrement fléchies, les mains, paumes ouvertes vers le sol, à hauteur de la taille, il accentua la tension du silence en pivotant lentement de droite à gauche, puis de gauche à droite, alpaguant des yeux le moindre regard posé sur lui dans l’assemblée qui était pendue à ses lèvres.

‘Là, un grondement sourd empli l’atmosphère, une vibration parcouru le sol, et les éclaireurs les ressentirent jusque dans leur cœur. Leurs oreilles semblaient se boucher au fur et à mesure que le grondement grandissait. Chacun d’entre eux finit par perdre toute notion d’équilibre, et ils se retrouvèrent à genoux sur le sol. Mais, malgré la peur, malgré la sensation étrange de perdre pied sur la terre ferme, ils gardèrent tous leur regard fixé sur la Plaie, persuadés que rien n’était fini, voire, pire, que tout ne faisait que commencer. Et là…’ L’étudiant donna un grand coup de pied sur le sol, qui fit bondir les élèves à son écoute. Le vieux professeur esquissa un sourire.
‘Les flammes reprirent de plus belle, dans une explosion de lumière et de bruit, et les vibrations dans le sol cessèrent. Le grondement aussi. Les éclaireurs purent enfin reprendre leurs esprits et se relever. Jusqu’à ce qu’un cri inhumain déchire leurs tympans.
– GRRRRRAAAAAAAAAAAAAAAAAAaaaaaaarrrrrrrrrr !’
Tandis que l’élève que le conteur avait subtilement désigné poussait un cri guttural du fond du Hall, toute l’assemblée hurla de peur, les enfants se collant les uns aux autres pour se rassurer. La directrice se pencha vers le professeur de théâtre et chuchota ‘S’ils continuent ainsi, j’annule tous vos cours. Les parents vont finir par se plaindre.’. Ce dernier ne lui répondit que par un sourire amusé.

‘Dans le déluge de feu, une silhouette se dessinait, immense, colossale, inquiétante. Elle était de morphologie humanoïde, mais d’une taille anormale, plus grande encore que le Palais d’Opale. Elle sortit alors des flammes, un pied devant l’autre, comme tout être humain, et les éclaireurs purent voir sa peau écailleuse et rougeâtre. De ses omoplates partaient deux ailes, non comme celles d’un oiseau, mais comme celle d’une chauve-souris, des griffes noires à chaque articulation. Et son front était orné de deux énormes cornes noires recourbées vers le ciel. Ces yeux étaient de couleur or, fendus de pupilles telles celles d’un serpent. Lorsque la créature fut entièrement sortie des flammes, elle déploya ses ailes d’un geste vif pour ensuite s’en couvrir le corps, comme on l’aurait fait avec une cape. En dehors de sa morphologie et de cette étrange envie de se couvrir, si elle avait été humaine auparavant, il n’en restait rien. Toutes les créatures qui avaient été crachées avant elle se mirent en cercle autour de ses pieds et commencèrent à danser une ronde endiablée. Oui, endiablée, voilà qui est le mot. La créature, elle, se mit à humer l’air. Ses narines frémissaient comme devant un bon plat, et elle tourna brusquement la tête en direction des éclaireurs.’ Tournant lui-même brusquement la tête vers sa sœur, il l’invita à continuer son histoire.