
10 avril 2015, quelque part.
Une silhouette encapuchonnée de noir se tient face à un trône massif d’or et de velours rouge sombre. Elle garde la tête baissée, chaque main retenant le poignet de l’autre dans son dos.
Dans son champ de vision réduit, elle ne peut distinguer de la personne assise face à elle, dans la pénombre, que le mouvement rapide de ses longs doigts fins faisant cliqueter leurs ongles sur le bras du fauteuil.
‘Maîtresse, il… semblerait que l’Aide soit en passe de lui être fournie…’
Le cliquètement s’arrête. Puis le silence s’ensuit, lourd comme une chape de plomb, lorsqu’un soupir vient le briser.
‘Nous pouvons… estimer que pour l’instant tout se passe… selon vos prédictions.
– Oui. Cela confirme en tout cas qu’elle est la Descendante. Enfin s’il s’agit bien de l’Aide.
– Nous… n’en avons pas encore la certitude. Tout porte à croire que…
– Je me fiche que ‘Tout porte à croire’ je veux que ‘Tout concorde’. Est-ce clair ? Déjà que je dois vous faire confiance lorsque vous me dites que vous ‘pouvez l’observer’, mais ‘pas savoir où elle se trouve’, si en plus tout s’avère n’être que doutes…’
A la sécheresse du ton, la silhouette encapuchonnée ne penche maintenant plus que la tête, mais courbe aussi son corps dans une attitude de soumission emprunte de peur.
‘Je m’en occupe personnellement, Ma Dame…’ accompagne sa sortie à reculons.
La femme se lève et se dirige à pas feutrés vers un portrait peint, accroché au dessus d’une cheminée de marbre noir. Les voiles ceints autour de sa taille voguent au gré de son chaloupé, tandis que ses bracelets de cheville leur trament un fond sonore.
‘Ma chère sœur, nous verrons bien qui aura la Descendante dans son camp lors de l’affrontement final. Je n’ai toujours pas oublié ton choix. Je n’ai pas oublié ta traîtrise.’
Elle glisse un ongle noir effilé le long de la gorge du portrait.
‘Cracher au visage du sang de ton sang, jeter l’opprobre sur notre nom… Et depuis tu n’as pas eu le courage de subir ta sanction. Tu ne sais que fuir… te cacher… Mais le moment viendra, ma chère sœur, ou je laverai l’honneur de notre famille dans tes larmes et ton sang.’
La femme se rassied sur son trône, pose son menton sur ses doigts croisés sous son visage, ferme les yeux puis prend une longue inspiration.
‘Que veux-tu, Funèbre ?’
Une ombre s’allonge sous le trône et se détache du sol pour pouvoir regarder sa Maîtresse en face, puis ouvre ses yeux dorés.
‘Je sssuis désssu, Ma Dame m’a entendu ?
– Entendu, vu, et surtout senti, mon grand… Des nouvelles du sang de ton sang ?
– Il ssserssse tousssours le vôtre, sssans grande réusssite pour l’inssstant…
– J’ai peur qu’il n’arrive à la trouver que lorsqu’elle le voudra… Mais qu’il continue. Et ?’
Les yeux de l’ombre brillent d’un éclat étrange tandis qu’un gloussement résonne dans la salle.
‘Et fffunèbre ausssi voudrait sssuivre quelqu’un. Il sssait fffaire sssa.’
Un rictus pointe la bouche de la femme.
‘Dois-je deviner qui tu veux suivre ?’
Le gloussement résonne de nouveau.
‘L’Autre a disparu. L’Aide n’est pas un être vivant. Il n’y a aucun intérêt à suivre mes propres soldats. Il ne reste que la Descendante.
– Uh uh Ma Dame est très ffforte.
– Mais les Moines la suivent déjà.
– Ma Dame m’essscusssera, mais ils ont pas l’air bien dégourdis…
– Je suis obligée de t’accorder ce point. Et bien alors vas-y, suis la. Mais attention Funèbre…
– Oui Ma Dame ?
– Je ne tolèrerais pas une autre erreur. La Descendante doit rester vivante ET entière.
– Ma Dame ?
– J’insiste sur le fait que ces deux points sont INDISSOCIABLES. Ne me refais pas comme la dernière fois.
– …
– Sinon je devrai sévir.
*
‘Elle n’a aucune idée du travail qu’elle me demande. Elle ne se rend pas compte. C’est… C’est… aberrant !’
D’un geste brusque, le moine encapuchonné de noir envoie voler des piles de documents de son bureau. Puis il se reprend et joint les mains à plat sur sa poitrine en baissant la tête.
‘Pardonnez-moi, Créateur de Toute Chose, pour cet accès de colère. Je ne sais que trop bien qu’il me faut économiser l’Energie Divine pour votre Grand Œuvre. Pardonnez-moi…
– Frère Arskan, que n’est-il en votre pouvoir de vous souvenir que le Créateur ne daigne que fort peu s’appesantir sur votre petit cas personnel ?
– Votre désobligeance me touche bien plus que je ne saurais dire. Nous savons tous que le Créateur s’attarde sur tout un chacun et que nous faisons tous partie de son Grand Œuvre.
– Nous avons donc deux points de vue. Soit il ne s’attarde pas sur nous, et donc ne s’intéresse guère à nos gâchis, soit il nous suit tous, et il est alors fort à parier que ces mêmes gâchis font déjà partie de son Grand Œuvre. Je ne sais quelle version préférer…
– Frère Ionia, votre indigence religieuse est réputée dans tout le Monastère’ s’empourpre Arskan, ‘Vous insinuez le doute dans nos âmes, et nous précipitez dans un abîme sans fond. Dois-je vous rappeler que vous n’êtes ici qu’en respect des dernières paroles de votre père ? Alors, en retour, veillez à respecter un tant soit peu nos préceptes. Vous êtes ici pour apprendre, pas pour enseigner vos… vos… hérésies !
– Soit, frère Arskan’ exprime Ionia de sa voix la plus douce, ‘Je vous laisse donc vous abîmer dans votre obscurantisme personnel. Je serai par contre aux premières loges lors de la Guerre des Justes pour apprécier ce que notre Créateur fera de vos hérésies…’
Tout en sortant sa chaîne de sous sa tunique, Arskan lui crache au visage ‘Voyez-vous cette chaîne, Frère de rien ? Chacun de ses maillons représente un Frère que j’ai forgé moi-même !
Combien la votre en comporte-t-elle ? Ha, mais j’oubliais, vous n’en avez pas ! Même pas le Tour de Cou des Apprentis ! Et vous venez me juger ? Vous osez bafouer des siècles d’apprentissage, des milliers de fidèles, et ceux qui méritent le titre de Frères, là où vous l’avez usurpé sur un lit de mort ?’
D’un air neutre, Ionia laisse Arskan reprendre son souffle, la bave aux lèvres.
‘Loin de moi l’idée de vous offenser, frère, mais vous qui me parliez plus tôt de préceptes, m’est avis que vous êtes en train de flouer les vôtres.
– Que… Que dites-vous, scélérat ?
– Et bien, je peux me tromper, mais j’ai l’impression que vous êtes en train de rejeter un Fils du Créateur pour ses idées. Hors, il me semble bien me souvenir vous entendre m’inculquer la bonté et le pardon infini du Créateur et des Frères, ainsi que la liberté de pensée qu’ils laissent aux Fils, sans restriction aucune quant à la valeur de leur âme.
– Je… Je ne…’ son teint passe d’un rouge vif à un blanc crémeux ‘Vous n’êtes plus un simple Fils, mon cher, mais un Frère !
– Oui, c’est vrai, j’oubliais…Un Frère.’ Sous le regard éberlué du moine, Ionia se dirige à pas lent vers la porte de la cellule ‘Mais sans Chaîne…’
La main sur la poignée ‘Ni même Tour de Cou…’
Il ouvre la porte, la passe, se tourne vers Arskan et, dans un sourire franc ‘Frère… N’est-ce pas le titre que vous me dîtes avoir usurpé sur un lit de mort ? Mais alors, une usurpation a-t-elle de la valeur finalement, ou pas ?’
Lors il referme la porte sur un clin d’œil, et sous le ‘DEHORS !’ éructé du moine.

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