
‘Câlin gratuit !’
La nuit était tombée sur l’esplanade. Comme dans le reste de la ville, les lumières électriques s’étaient mises en route et baignaient le sol d’un jaune faiblard.
‘Qui veut le dernier câlin gratuit du mardi ?’
Maigrelet, et tenant à bout de bras un carton noté ‘Free Hugs’, le jeune homme tentait de distribuer un peu d’affection à sa manière.
Vu sa propension à préférer enserrer de jeunes femmes, son but n’était clairement pas altruiste. Mais depuis le retour à la vie ‘d’avant’, après les longs mois d’une pandémie incontrôlable, ce genre d’offre était devenue la norme. A la fois hommage aux survivants et démonstration appuyée d’espoir.
La petite dizaine de personnes sortant du métro passa autour de lui, l’ignorant. Penaud, il commença à ranger sa pancarte dans son sac à dos.
‘Attendez !’
Il releva la tête vers la source de la voix, une femme brune en tailleur strict se dirigeait vers lui.
‘J’ai hâte de rentrer chez moi, mais comme personne ne m’attend, j’ai le temps de vous prendre le dernier câlin du jour…’
Malgré son masque en tissus noir orné d’un liseré rouge, comme son tailleur et ses gants délicats, les plis de ses yeux et l’inclinaison de sa tête laissaient imaginer un sourire franc.
Après avoir refermé son sac, le jeune homme se redressa, réajusta son masque et la prit dans ses bras. Lové dans sa nuque, son parfum de vanille envahit ses narines, délicatement.
Un regard non avisé aurait pu les prendre pour un couple se retrouvant après une trop longue séparation.
Il se détacha d’elle.
‘Je ne vais pas vous retenir plus longtemps, il se fait tard, et je ne veux pas vous faire prendre de risques
- C’est très gentil à vous. J’habite à deux pas, je devrais m’en sortir.’
Elle lui adressa le même sourire masqué que la première fois, puis fit demi-tour dans un déluge de cheveux et de vanille.
Il attendit quelques instants, la regardant partir, puis ramassa son sac et pris le même chemin.
Prenant soin de rester à distance, il observait le dos de la jeune femme, obnubilé par les mouvements de ses cheveux au gré de sa démarche. La rue qu’elle avait prise était, malgré l’heure, encore animée. Tandis que les magasins avaient fermé boutique, les terrasses de bars étaient, elles, toujours bien vivantes, et la route constamment éclairée par les phares des nombreux véhicules qui l’arpentaient.
Rien de fâcheux n’aurait pu lui arriver pour le moment.
Un peu plus loin, il la vit prendre une petite ruelle sur sa gauche. Arrivé à l’entrée de cette dernière, il découvrit un passage plutôt exigu, dont l’éclairage se limitait presque aux rares fenêtre encore allumées des appartements l’encadrant. Aucune voiture n’aurait pu y accéder, mais un deux-roues un peu trop rapide aurait pu y faire un carnage.
Une fois sa vue habituée à la pénombre, il put apercevoir la silhouette de la jeune femme. Elle n’était pas encore arrivée chez elle, aussi continua-t’il d’avancer.
Lorsqu’elle prit, cette fois-ci à droite, il accéléra le pas pour éviter de se laisser distancer. Il l’aperçut sur un perron de cour intérieure, farfouillant dans son sac, et sortant un trousseau de clés. Elle l’apposa près de l’interphone, puis poussa la porte et entra.
La porte se refermait lentement, aussi eut-il le temps, en quelques enjambées, de la rejoindre et d’en empêcher la fermeture du bout du pied. Scrutant du coin de l’œil le dernier talon de la jeune femme tourner l’étage de l’escalier en colimaçon, il se glissa dans l’entrée de l’immeuble et laissa la porte se refermer derrière lui, dans un léger cliquetis métallique. Les rampes de l’escalier étaient sculptées à même les murs de pierre. Il lui était impossible de la voir clairement, de même pour elle.
Montant marche à marche lentement et silencieusement, il se fiait à l’écho des escarpins sur les marches de pierre pour anticiper les déplacements de la femme. Les paliers de chaque étage étaient recouverts d’un tapis épais, il lui serait facile de l’entendre quitter l’escalier.
Ce qu’elle fit au troisième étage. Le dernier.
Il montait les marches restantes délicatement, dos accolé au mur, prenant soin de ne pas se faire trahir par les bruissements du tissu sur la pierre. Posant avec précautions son sac, il tendit l’oreille.
La femme vanille semblait ne plus faire aucun bruit. Comment savoir si elle avait pris le couloir de gauche ou celui de droite ?
Puis vinrent les cliquetis. Dont l’écho révéla leur origine dans le couloir de gauche.
‘Cette serrure va me rendre folle !’
Il se pencha doucement pour contourner le coin de mur du regard. La jeune femme semblait batailler avec ses clés. Puis elle lui tourna le dos, s’accroupit en équilibre sur ses talons, posa son sac au sol et se mit à fouiller dedans.
‘Le proprio va m’entendre à force de me prendre pour une idiote.’
C’est le moment ou jamais, pensa-t-il, avec elle ça fera trois, et on parlera enfin de moi.
Il sortit de son sac la même boule de métal sculptée qu’il avait laissée près des deux autres corps, et avec laquelle il leur avait ouvert le crâne. Bien que la police ne l’ait pas trouvée sur le deuxième, dans ce petit couloir elle y serait obligée, et le mode opératoire gonflerait forcément son palmarès.
Et ils me prendront enfin au sérieux.
Tout était prévu pour qu’il fasse enfin la une des journaux. Et peut-être même le buzz sur Internet.
Il avança vers sa proie, toujours les mains perdues dans son sac. En s’approchant d’elle il se dit que si jamais elle sortait son téléphone pour appeler qui-que-ce-soit, il devait absolument frapper avant que l’on décroche à l’autre bout.
Arrivé à sa hauteur, il prit quelques secondes pour ajuster son coup. Atteindre le mur avant son crâne serait la pire idée du monde.
Pauvre petite biche sans défense. Au moins elle aura eu un câlin de répit avant son trépas.
Il leva le bras et imagina l’espace d’un instant l’applique du couloir avoir un reflet scintillant sur la boule. Comme dans les films.
Perdu dans ses rêves de gloire, il ne vit pas la jeune femme se relever brusquement en pivotant vers lui.
Il sentit à peine l’acier froid pénétrer sa gorge et lui trancher la jugulaire avant de glisser sur son os hyoïde. Le regard de la femme vanille planté dans le sien lui sembla encore plus froid, ce qui lui offrit quelques frissons.
Lorsqu’elle retira la lame, la douleur fusa alors, et il tomba à la renverse en s’agrippant la gorge de la main gauche. Pendant sa chute, il lâcha la boule de métal, qui fut accueillie par son front dans un craquement sinistre juste après qu’il eut touché le sol.
La femme vanille reprit son sac à main, jeta le trousseau de clés sur le corps gargouillant puis redescendit l’escalier.
Passant devant le sac à dos du câlineur sauvage elle vit le panneau ‘Free Hugs’ dépasser d’un coin et s’en saisit. Un nouveau souvenir.
‘Et de sept. Pathétiques.’

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