
Dimanche
Je le regardais.
Son sommeil devait être agité. Ses yeux roulaient sous ses paupières par à-coups impromptus.
Par moments sa lèvre supérieure se relevait subrepticement, comme s’il allait parler.
Grogner.
Ou mordre.
Par moments son bras droit, posé sur ma hanche gauche, s’activait. Je pouvais sentir sa main se crisper sur ma peau, et me rapprocher de lui.
Plus près.
Toujours plus près.
Jusqu’à coller mon bassin contre le sien.
Il n’y avait aucun tissu pour nous séparer, et le contact de nos peaux produisait à chaque fois ce type de chaleur lancinante qui me retenait éveillée.
Maintenant je pouvais sentir un souffle chaud venant de ses lèvres glisser sur mon cou. Inconsciemment, je fermais les yeux.
Les deux.
Vers le Néant.
Inconsciemment mon esprit partait en vadrouille dans un paradis lointain, inconnu.
C’est le moment qu’il choisît pour sortir de son coma onirique et entrouvrir les yeux.
Me regarder.
Me sourire.
Poser un baiser sur ma peau.
Et ensuite retourner à ses rêves.
J’aurais voulu que cet instant ne s’arrête jamais.
Lundi
Comme tous les matins de semaine, il sortait du lit avant moi, partait à la cuisine, s’affairait, puis courait sous la douche.
Lorsque mon réveil sonnait, et que mes sens s’éveillaient, je pouvais sentir divers parfums, celui, amer, d’un café fraîchement préparé, celui, doucereux, du pain de mie sortant du toaster et aussitôt recouvert d’une fine couche de beurre, et celui, aléatoire, d’une fleur plus tôt cueillie dans notre jardin, ou un avoisinant.
Je pouvais l’entendre fredonner dans la salle de bain, et j’imaginais instantanément l’eau ruisseler sur son corps ferme, suivant les courbes parfaites que Dame Nature lui aura accordées en je-ne-sais-quel hommage.
Lorsque j’ouvrais les yeux, je pouvais voir un plateau, garni de tout ce qui propageait les parfums que j’avais sentis plus tôt, posé sur un tabouret, juste à mes cotés, et sur lequel avaient été rajoutés un jus de fruits frais, orange, fruits de la passion, mangoustan, selon ses envies, ainsi que quelques carrés de chocolat noir à demi fondus dans un fond de lait tiède, comme il savait que j’aimais à étaler sur les tartines qu’il m’avait beurrées.
Si l’on m’avait demandé dans quelle boucle temporelle j’aurais aimé être enfermée à jamais, j’aurais choisi celle-là.
Mardi
Je passais toutes les premières nuits de semaine seule.
Comme les cinquièmes.
Le lendemain matin, obligé par le futur à devenir un présent imparfait, n’en était que plus froid.
Insensible.
Plus écœurant.
Le lendemain matin, crachant ses minutes, ses secondes, comme un raciste sa haine ancestrale, devenait le travail forcé.
L’impôt obligé.
L’enfant non désiré.
Il devenait cette partie de soi, de son cœur, de son âme, dont chaque instant passé en la compagnie éructe des glaires de bile brûlant inlassablement toutes les muqueuses qu’elles rencontrent.
Mais dans ce vortex de douleur, dans ce maelstrom d’angoisse, brillait encore l’étincelle de l’espoir, la fameuse, l’Arlésienne.
Chaque seconde égrainée dans le néant me rapprochait de son retour.
De sa présence.
De nous.
Chaque acide seconde avalée ouvrait la voie au retournement du sablier de notre vie.
De notre couple.
De nous.
Chaque nuit sans appelait plusieurs nuits avec.
Et ces dernières nourrissaient ma patience.
Mercredi
34…
34 heures que je l’attends.
Patiente, presque souffrante, me brisant la nuque d’un coup de tête à chaque ombre glissant sur mes fenêtres, et à chaque bruit cognant contre la surdité de ma porte.
Tandis que le soleil se couche, ce ne sont plus les ombres mais les lueurs que je guette, pelotonnée dans mon fauteuil le plus confortable, son portrait contre ma poitrine.
Mon âme contre mon cœur.
34…
34 longues années.
C’est le temps qu’il m’a semblé s’écouler depuis la dernière fois où je l’ai vu, desserrant mes bras d’autour de lui, et humant encore un instant son parfum.
Maintenant je le sens venir, à moi avant d’en moi, et laisse patiemment mes battements de cœur s’égrainer au fil des incessants tic-tac de ma montre.
Attendant que son retour le relance.
34…
34 secondes.
Ce qu’il m’a fallut pour couvrir la distance du fauteuil à la porte après avoir reconnu son toc-toc habituel sur le bois de l’entrée.
Juste après que mon cœur eut arrêté de battre, puis soit reparti de plus belle.
34…
34 par seconde.
Ce fut le nombre de battements de mon cœur en le voyant…
En le sentant… En le touchant.
Jeudi
Hier soir, comme à chaque fois, il est arrivé.
Hier, contrairement à d’habitude, c’est excessivement tard qu’il est rentré.
Il semblait fatigué, perturbé, prostré.
Gêné, inquiet, déphasé.
Il m’a dit que je me faisais des idées, que son travail l’avait probablement exténué, mais qu’il venait pour me côtoyer, pas pour en parler.
Pour traîner, pas pour philosopher.
Pour coucher, pas pour discuter.
Ce n’était pas tout ce que je voulais.
Mais pour cette nuit cela suffisait. Je n’aurais apparemment rien d’autre de partagé. Cette fois il n’était pas prêt.
Malgré tout je continuerai d’espérer, il ne s’agissait que d’une passade, d’une blessure dans le temps, limitée.
Comme je le connais.
Comme je le sais.
Ce matin, c’est comme avant que je l’ai vu, fier et amoureux comme au jour premier.
Ce matin, c’est comme je l’espérais que je l’ai vu.
C’est comme je l’aimais que je l’ai vu.
Comme je l’aime encore.
Mien.
Son souffle sur ma peau avait la douceur du velours, ses yeux battaient une mesure inconnue, son visage à coté du mien.
Et bien qu’ils fussent clos, je le sentais, dans son entier, ouvert à moi. Mien.
Vendredi
Cette fois-ci il n’est pas parti.
Il ne l’a pas rejointe, ni n’a été à son travail.
Cette fois-ci il m’est resté.
La journée au lit, à le cajoler.
La journée au lit, à l’embrasser.
Il est enfin redevenu ce qu’avant j’aimais.
Je ne sais ce qui lui a pris l’autre soir, lorsqu’il est rentré, distant, ne parlant que de charnel et, une fois ce jeu consumé, m’avouant qu’il ne reviendrait plus.
Qu’il avait réfléchi.
Qu’il ne m’aimait plus comme avant, et voulait que tout s’arrête s’il n’en était de même pour moi.
Les hommes… les hommes… si instables…
Si compliqués…
Et pourtant si simples.
Donnez-leur ce qu’ils veulent, et ils oublient ce qu’ils fuient.
Offrez-leur leurs désirs, ils en oublient leurs peurs.
Lui, comme les autres, fonctionne ainsi.
Mais maintenant qu’il a ce qu’il veut, je peux enfin avoir ce que je veux.
L’avoir lui.
A moi.
Rien qu’à moi.
Ce matin il aurait dû repartir, pour ne revenir que demain soir.
Comme chaque semaine.
Mais il a eu ce qu’il désirait, et maintenant il ne partira plus.
Si compliqués, et pourtant si simples…
Samedi
A moi.
Rien qu’à moi.
Il est là, à coté de moi.
Sa peau est fraîche, mais il n’a pas besoin de couverture.
Moi, si, même à coté de lui, avec ce froid qui dure.
Et il est là. Près de moi.
Rien qu’à moi.
Son portable est éteint, elle ne nous dérangera pas en l’appelant à elle.
Son travail ne l’appellera pas, pas le week-end, pas hors semaine.
Je peux ne penser qu’à lui, et lui qu’à moi.
Je peux ne regarder que lui et lui que moi.
Il est si calme auprès de moi.
Pas de cris, pas de débats.
Juste lui dans mes bras.
J’aurais tellement aimé qu’il en soit ainsi depuis toujours,
Ne pas m’inquiéter de savoir si plus jamais il ne reviendrait.
J’aimerais baiser sa peau, la couvrir de mes lèvres rouges,
Mais il est si calme, endormi, je ne voudrais pas le réveiller.
Elle ne le reprendra plus, il est à moi.
De toute façon elle le perdait à chaque fois.
Là elle ne le sait juste pas.
Je la plains, dans un certain sens,
Il n’ira lui dire son absence.
Les hommes sont comme ça, si compliqués, et pourtant si simples
Dimanche
Je le regardais.
Son sommeil si mérité était d’un calme plat.
Par moments ma lèvre supérieure se relevait subrepticement, l’odeur me gênait.
Hier encore tout allait bien,
Mais là, entre le froid, la dureté, et l’odeur,
Je perdais pieds.
Mais ce qui me dérangeait le plus, c’était l’humidité craqueleuse.
Le drap poisseux, gras, humide et sec par endroits.
Je voulais le changer, ce drap, au moins le drap,
Mais cet idiot n’en bougeait pas.
Et il était bien trop lourd pour que je l’en pousse,
Ou l’en tire.
J’ai bien essayé, pourtant, mais sous l’impulsion, son poignet ligoté à la tête de lit a craqué.
Un craquement dont l’écho a respiré dans la chambre trop longtemps.
Cher journal, je ne sais trop que faire. Mais il ne peut plus rester là.
Je ne le supporte plus.
Sa présence, son odeur, son regard vide…
Tout me révulse.
Et il est tellement froid maintenant.
Je pensais qu’il serait mieux à présent, libre d’elle, épris de nous.
Mais, non, il est plus distant que jamais.
Et le sang, tout ce sang, coagulé par endroits, mais qui coule encore.
Il faut que je change ce drap, mais il reste là.
Là…Las… Droit… Froid…
Et moi ?

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